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Rêver avec Blaise

5 Septembre 2016 , Rédigé par Gilles Publié dans #Vie d'Atelier

Lorsqu’à la gare Yaroslavsky, dans les quartiers est de Moscou, il monta dans le transsibérien, il en avait déjà imaginé tout le parcours jusqu’à Vladivostock. Il en avait conçu l’itinéraire avec Moravagine, naturellement sans tenir compte des heurs et malheurs qu’il rencontrerait le long de ces interminables verstes à travers la taïga.

Pourquoi part-il seul et si loin ? Son vieil ami Morétaine, marchand de pierres précieuses et de peaux d’ours blancs de Sibérie lui avait mis martel en tête. « Il faut que tu connaisses les villes riches comme Iekaterinbourg ou Krasnoïarsk, il faut que tu admires la toundra enneigée balayée par les rudes vents du nord, il faut que tu aimes les superbes femmes tatars de Kazan et les ouïghoures du Turkestan. »

Des semaines avant son départ, il rêvait des nuits entières et toute la journée, à ces immenses contrées sur fond du bruit perpétuel des roues en acier sur les rails gelés.

Aussi quand il monte dans le transsibérien, il ne pleure pas, il ne pense pas, il rêve. Dans le compartiment numéro six du coupé, il s’assied à côté de la Petite Jehanne de France. Quel bonheur d’être en sa compagnie ; ils sont installés avec une vieille femme moujik, à la tête carrée, qui ne cesse de saucissonner et aussi une espèce de vieil aristocrate au costume élimé et qui boit la vodka au goulot. Et aussi un militaire du tsar qui dort comme un loir, ayant épuisé son alcool.

La Petite Jehanne de France lui effleure la main, tous les deux sourient et partent dans un rêve sans limite.

La machine essoufflée ralentit jusqu’à s’arrêter. Ils sont en gare de Nijni-Novgorod. Prenant par l’épaule la Petite Jehanne de France, ils descendent, se rendent au restaurant « Gorki », et s’installent dans de profonds fauteuils club en cuir pour déguster de délicieux pirojkis arrosés de vodka au citron.

L’énorme locomotive et ses vingt-deux coupés se remettent en route ; les roues patinent sur les rails givrés. Il faut beaucoup de temps avant qu’elle ne reprenne sa vitesse normale pour franchir les monts de l’Oural. Le vieil aristocrate lit son journal local : « Tsarévitch Nicolaï » (le Figaro local), le militaire pétune sans arrêt, la vieille paysanne cherche ses goloubsy au fond de son sac, et la Petite Jehanne de France se serre très fort contre lui, en lui racontant des histoires de sa jeunesse à Paris, au pied de la Butte Montmartre.

Ils traversèrent des forêts épaisses, magnifiques, où de temps en temps ils aperçoivent des hardes de chevreuils et de cerfs et aussi de rares villages aux isbas colorés et les bulbes bariolés des églises.

Des fleuves gelés sur lesquels circulent de lourds camions et même le transsibérien dont on enlèvera les rails dès la raspoutitsa venue.

Dans le grand samovar, comme il en existe dans tous les wagons de l’Empire, ils prennent l’eau bouillante nécessaire pour s’offrir, les yeux dans les yeux, un « caravansérail » le meilleur thé de toute la Sibérie Orientale.

Ils profitent de l’arrêt prolongé à Itkursk pour constituer un stock de chapkas et de houppelandes en zibeline.

Puis après des heures et des heures à travers la campagne uniformément blanche, la machine stoppe à Zvenihorodka où sur les conseils de Moravagine, ils achètent des pierres précieuses. Lorsqu’ils repartent pour Vladivostok, la dernière étape, la Petite Jehanne de France lui prend la main, lui pose un doux baiser sur le front et lui dit : « Je t’aime Blaise. » 

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