JE SUIS LE FRUIT D'AUTOMNE

Je vis en altitude, pas trop haut cependant. Je ne vais pas disputer le terrain à la pomme de pin. J’aime les espaces reculés, les fonds de vallées, les bouts du monde, les vallons que le soleil d’automne caresse après les brumes matinales, les talus qui dégringolent dans les prés maigres. Par-dessus tout, j’apprécie les sentiers que les rares villageois ont tracés depuis des siècles pour échapper aux pouvoirs, aux foules, aux urbains. Je fréquente volontiers ce cèpe dit de châtaignier que certains dédaignent, qui manquerait de délicatesse ou de fermeté, la fougère tellement changeante, la ronce si bonne montagnarde. Je les domine de haut, de très haut, durant l’été, enfermée dans ma bogue comme derrière des rideaux protecteurs. Dès septembre, je m’ouvre doucement et, fin octobre, j’atterris sans crainte, toujours à l’abri de ma coque épineuse. Au sol, je partage avec le bolet, la fougère et la ronce, une vie très lente, aux odeurs de terre mouillée.

Bientôt, sous les pas d’un chasseur pressé, je sors pour m’enfouir aussitôt dans l’épaisse couche de feuilles mortes. Celui-ci m’ignore et je m’en félicite. Une enfant, armée d’un bâton que son père lui a donné pour chasser les serpents, dit-il sottement, me découvre toute étonnée. A ses yeux, je brille encore humide de rosée. Elle me saisit. Elle délaisse le bâton rugueux et je roule dans la paume de ses mains. Nous échangeons nos douceurs. Elle aime ma peau si lisse. J’aime la chaleur tendre de son jeune âge. Je disparais bientôt au fond de sa poche où je suis en compagnie d’un trognon de pomme, et d’un caillou tout rond.