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FEVRIER 1944, LAMORLAYE

6 Décembre 2018 , Rédigé par Renée Publié dans #Vie d'Atelier

 

  • Maman, je suis passée devant la maison du chocolat, je voulais voir notre ancienne maison, celle où on habitait avant le départ de papa. Eh bien tu sais, ils l’ont démolie et maintenant il y a des voitures garées. Mais la maison du chocolat, elle, elle est ouverte, j’ai vu des gens entrer et sortir. 
  • Je t’ai maintes fois recommandé de ne pas te rendre dans notre ancien quartier. Tu ne dois pas traverser la route devant chez nous. Et encore moins aller jusqu’à la maison des Menier. D’ailleurs ne dis plus la maison du chocolat. Tu es grande maintenant.
  • Alors puisque je suis grande, dis-moi qui habite leur maison, pourquoi il y a beaucoup de voitures militaires, pourquoi papa n’est toujours pas revenu.
  • Oui, je vais te le dire… attends… je finis la pâte à crêpes, à la farine de je ne sais quoi… regarde, on dirait de la farine de seigle, ou de châtaignes, ou d’orge, peut-être de l’avoine !
  • De l’avoine ? On n’est pas des ânes ! Bon alors tu me dis ?
  • Oui. Papa ne revient pas tout de suite, comme je te l’avais promis. Il se cache, il est dans le Sud et ne risque rien. Nous, nous sommes des femmes, on ne nous recrutera pas comme soldates !
  • Et les Menier ? Ils se cachent aussi ?
  • Ecoute, c’est un peu plus compliqué. Je t’expliquerai quand je saurai vraiment. Mais je peux te dire que toutes les maisons ouvrières de la chocolaterie à Noisiel ont été réquisitionnées par les soldats allemands ; certaines ont été démolies, d’autres sont occupées par des gens comme ceux que tu as vu entrer et sortir du manoir des Menier. Eux, je ne sais pas où ils sont.
  • Mais qui c’est, ces gens comme tu dis ? J’ai vu surtout des femmes en tablier blanc et pas de soldats en fait. Pourtant les voitures, c’étaient des voitures militaires, comme tu m’en as déjà montré quand elles traversent la ville.
  • Je ne sais pas vraiment ce qui se passe dans la maison. On dit que les Allemands l’ont transformée en hôpital.
  • Mais pourquoi il y a des femmes en blanc ?
  • Peut-être des infirmières ?
  • Et d’où viennent les malades ? Moi, je ne vois jamais d’ambulances. Et la guerre, c’est encore loin de chez nous, tu me l’as dit. D’ailleurs je n’entends pas les bombes ni les coups de fusil. On ne voit que les voitures et des camions qui vont à Paris. Tu m’as dit que c’étaient des Allemands. Donc dans cette maison c’est des Allemands. J’irai écouter…
  • Ah ça non ! Je te l’interdis. Oui, on parle allemand dans le manoir. Inutile de céder à ta curiosité.
  • Mais maman, moi j’ai vu une femme en blanc qui portait, bien serré contre elle, quelque chose dans une couverture ;
  • Mon Dieu, quelle questionneuse ! quelle curieuse ! Je t’en supplie, Annette, si tu veux que nous attendions papa ici, il faut que tu oublies ce que tu as vu, il faut que tu ne retournes jamais devant cette maison, il faut que tu me promettes d’être « grande ». Nous saurons un jour ce qu’il  se passe dans la belle maison des Menier. Pour l’instant, on ne sait rien, on ne voit rien, on n’entend rien. On attend le facteur… s’il passe ! Et papa, à la fin de la guerre ! Et on mange les crêpes à la farine d’avoine tartinées au miel que Mamy a pu nous envoyer, je ne sais comment. Ah cette Mamy, c’est un as du marché noir !
  • Le marché noir, c’est quoi ?
  • Mange, avant que tu ne sois dévorée par la curiosité !
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