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LES ROIS DE LA PICOLE - 2

17 Janvier 2019 , Rédigé par Bernard T.

Nous préférions Pierrot et moi, lancer des controverses chez Coin-Coin avec les habitués : là nous discutions à l’infini sur les mérites comparés du Picon-Bière, du Beaujolais nouveau et de l’anisette, car le bistrot fleurait bon le pastis mêlé à la fumée de cigarette, parfums qui nous rappelaient une Provence de pacotille et nous incitaient à revenir. Nous buvions sec, sans souci des lendemains pénibles car nous recommencerions, persuadés qu’une cuite chasse celle de la veille et nous nous trouvions trop jeunes pour arrêter, nous alcoolisant sans le savoir, détruisant nos flores intestinales qui un beau et triste jour nous démoliraient le cerveau, nous conduisant irrémédiablement vers le centre de désintoxication dont on ne revient pas toujours indemne.

Pour le moment nous étions les Rois de la Picole, sachant tout ce qu’il y a à savoir sur divers alcools, leurs mérites et leurs désagréments. Nous avions tout goûté depuis le chouchen casse-pattes au jaja le plus aigre, seule l’eau de Cologne nous avait écœuré, ayant rencontré un quidam russe qui en faisait son ordinaire, il est vrai que c’était un clochard qui puait de toutes les parties de son corps mais dont l’haleine parfumée rappelait les beaux jours de la Grande Catherine.

Cet après-midi là dès que la bière fraîche eut embué nos verres, nous trempâmes nos lèvres dans la mousse laissée à regret par le barman, bien que notre commande spécifiait « sans faux col ». Le tip, le pourboire s’en ressentirait. 

Pierrot avait hâte de me confier un secret :

  • On a décidé avec Jeanine, d’aller passer les vacances au Québec ! assena-t-il assez fier de son mini discours.
  • Ah bon… ? fis-je mine d’être intéressé, tu vas apprendre le joual avant de partir ? Parler la langue de là-bas sur Babel ? Pourquoi vous allez pas en Espagne comme d’habitude ?
  • Ben on voulait changer. Et pis tant qu’à faire un beau voyage, autant partir loin, ce sera plus… Ce sera moins…

Il avait du mal à trouver ses mots. Il faut avouer que l’alcool commençait à faire des ravages dans nos neurones. Moi j’en étais au quatrième verre seulement, mais Pierrot avait déjà partagé ses nouvelles vacances avec au moins trois facteurs de neuf heures, ceux qui rentraient rendre des comptes, et avec bien deux guichetiers dont il était proche, bref sur sa bougie, la flamme n’était pas près de s’éteindre, vu ce qu’il avait dû écluser… Comme on  disait au Canada, il était en train de « prendre une brosse », et une sévère ! Moi même, je commençais à me sentir drôlement enthousiaste et les mots patinaient avant de sortir sous ma langue. J’avalais mon verre d’un trait pour en finir au plus vite et tirais mon camarade par le bras :

  • Viens donc, le patron risque de nous appeler ce matin !
  • Qui… ? Tu crois… ?

Il s’arracha avec peine à la conversation avec la serveuse blonde, la coquine qui avait toujours un bouton du corsage défait et qui avait des clins d’œil secrets avec le patron du bar. Leur intimité était si flagrante que personne n’y faisait plus attention. 

Nous remontions l’avenue quand sur le trottoir d’en face, je vis une figure familière qui m’adressa un salut du bras. Qui était-ce … ? me demandais-je, et me retournant un peu brusquement vers la silhouette qui disparaissait à l’orée des autos garées, je faillis me flanquer par terre. Pierrot me retint de justesse :

  • Ben alors, rigola-t-il, t’es déjà bourré, tu tiens plus sur tes pattes ?
  • Non, j’ai cru voir mon copain Robert, tu sais je t’en ai parlé…
  • Robert ? Non, je vois pas dit-il en tournant la clé. 
  • Mais si ! insistais-je en pénétrant derrière lui dans notre réduit.

Misère, il y faisait toujours aussi chaud. Nous n’allions pas tenir le coup longtemps entre la poussière et le soleil qui tapait dans la vitre…

J’avais toujours l’image dansante du type rencontré dans la rue… Où l’avais-je déjà vu ? Aux Galeries Lafayette ? Dans la Chaussée d’Antin ? Tenait-il cette boutique du passage… Ou à la gare Saint-Lazare, était-il le patron de la librairie… ? Robert, Robert… Ce prénom commençait à perdre toute sa saveur de connaissance… Robert ?

Un éclair de clairvoyance alluma l’ampoule de ma cervelle malmenée :

  • Bon sang ! Mais qui est CE Robert ?

 

 

FIN

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