Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

UN JARDIN

7 Mars 2019 , Rédigé par Renée Publié dans #Vie d'Atelier

Mon jardin de rêve ne ressemble pas au jardin public de mon village trop petit pour contenir l’énergie de gamins turbulents, ni à celui du Luxembourg trop calme aux yeux des enfants qui n’ont pas de bateaux à faire voguer sur le bassin. Il n’est pas non plus le jardin  potager qu’Asterio a laissé, « solitaire et glacé » comme le parc de Verlaine ; il y « pleure » toujours, même sous le soleil. Il n’est pas mon jardin secret dans lequel je tourne en rond depuis tant d’années, ni le jardin d’Eden que je sais inaccessible depuis qu’Adam et Eve y ont péché.

Mon jardin de rêve, il existe ! Pour l’atteindre, en pensée, je me chausse de bottes, je noue un tablier et remplis les poches de petits outils, je plante sur mon crâne le vieux chapeau de paille que je ne sais plus quel peintre a mis sur la tête d’un « jardinier » dans un tableau. Je me rends au musée de Cluny dans cet accoutrement. L’hôtesse d’accueil, si elle est aussi revêche que celle qui bougonnait quand j’accompagnais autrefois quelque enfant, m’interdirait l’entrée ; mais je « me » rêve en jardinier et elle ne me fera que les recommandations d’usage : pas de photos, ne pas dépasser les lignes de protection des œuvres etc. Je traverse les salles médiévales sans un regard pour les thermes, les chevaliers, les armures et les monnaies. J’atteins la salle en demi-cercle, précédée de deux ou trois marches larges sur lesquelles je m’assoirai tout à l’heure. Devant moi, les six tapisseries » mille fleurs » de la dame à la licorne. Je ne suis ni prince, ni sage, seulement un modeste jardinier.

Je choisis la tapisserie dite de l’ouïe où la dame joue de la harpe, ou d’un instrument qui lui ressemble. La licorne est un peu en arrière, moins présente que sur les autres tapisseries : je l’ignore insolemment. Les deux lions-potiches qui tiennent les bannières ne m’impressionnent plus. J’entre dans l’espace, plus bleu que vert, piqueté de fleurs dont moi, le jardinier, j’ignore le nom : un comble ! Il y a un arbre sous lequel je ne me suis jamais reposé, parce qu’un singe malicieux y est établi. Un renard se promène sans crainte. De petits lapins animent la pelouse. Le chien, un lévrier peut-être, inoffensif et sans flair, s’ennuie. Quelques oiseaux colorent le ciel, qui n’est pas un ciel, mais la toile brodée de la tente de la dame, ou le fond de mille fleurs rouges sur lequel le jardin se détache. 

Je ferme les yeux. Je ne suis plus le jardinier mais le témoin de la grâce faite artifice, faite art avant la fin du Moyen Age dans les Flandres. Assise sur les marches, yeux clos, j’entends près de moi la voix aigue d’un gamin qui s’adresse à sa mère : « Eh ben, je te dis pas, le boulot du jardinier ! » Je lui coupe presque la parole pour lui signifier sans ménagement qu’il suffit de rêver pour entretenir ce jardin-là. « Rêve, mon petit gars ! »

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article