DE FIL EN AIGUILLE...

Renée n'est plus la même depuis sa double opération de la cataracte.

Est-ce parce que, sa vue ayant pris une grande acuité, elle discerne tant de choses qu'elle ne sait plus sur laquelle elle doit se concentrer ? Est-ce, au contraire, que son regard devenu plus intérieur l'isole de notre groupe ? 

Nous ne savons à quelle hypothèse nous arrêter.

Nous avons même osé penser que, par une néfaste erreur, le chirurgien avait pu se tromper de patiente et intervenir sur les neurones de notre secrétaire. Ce serait navrant pour tout le monde.

Pour plaisanter, je lui ai demandé si elle n'avait pas été opérée d'autre chose que de la cataracte.

Bien sûr, cela n'avait rien de sérieux mais a eu l'avantage de me faire revenir en mémoire ce que m'a raconté, un jour déjà bien lointain, un collègue de travail que nous appelions Dago.

De son vrai nom, il s'appelait Gobert. C'était notre roi sans culotte à l'envers ; nous l'aimions bien, nous appréciions son humour mais sa discrétion aussi, son sérieux dans le travail.

Il était grand et maigre, les joues creuses, le nez long ; avec une barbiche, il aurait ressemblé au Don Quichotte dessiné par Picasso. De beaux yeux bleus, le sourire à portée de regard.

Il n'était pas menteur et je l'ai cru lorsqu'il m'a raconté la très fâcheuse mésaventure arrivée à l'un de ses amis parti à l'hôpital pour se faire opérer de la vésicule biliaire :

à son réveil après l'intervention, le pauvre homme souffrait, non pas du côté gauche de son torse mais... d'une de ses épaules immobilisée par un large bandage.

Oui, le chirurgien s'était trompé de patient !

Avait-il trouvé tout de même quelque chose à réparer dans l'épaule du jeune homme ?

Celui-ci dut se remettre de la méprise avant de repartir pour l'hôpital, cette fois pour l'ablation de la vésicule biliaire !