UN BEL ENCHEVETREMENT

   J’ai repris ce matin le train qui me conduisait vers le Midi et la patrie de mon enfance. Ce n’est pas que je sois particulièrement épris de ma région, mais j’y suis né et je suis irrésistiblement attiré par les paysages du Sud, la mer, la garrigue, les chênes liège, les buissons courts sur pattes, le thym, la lavande, le serpolet, les pois chiches, la vigne dorée et la langue d’oc que je ne parle pas mais dont j’aime écouter les expressions et les mots chantants.

Ce pays est proche de la Provence qui raconte par ses paysages, ses châteaux, ses œuvres d’art, toute une vie, celle d’antan qui révèle les occupations de nos ancêtres à la campagne : le cueilleur des plantes qui devaient sécher avant d’être transformées en huiles essentielles, ou en alcools grâce aux alambics non interdits ; le lavoir où s’échangeaient les dernières nouvelles ; le château où s’étaient déroulés les complots les plus horribles.

C’était un matin bleu et je me délectais des paysages qui défilaient sous mes yeux. Dans ma tête les souvenirs s’entremêlaient. Le visage rond de Mamie, ses boucles brunes, le mas aux volets bleus, les goélands criaient au-dessus de la baie. Je parcourais même le chemin de la crête en culottes courtes, j’avais les jambes griffées. Un cahot du train me rendit à la réalité, on approchait de Sète.

J’avais passé là mes années de jeunesse, perché le long de la corniche pour guetter l’arrivée des bateaux de tous acabits : chalutiers, pinardiers, voiliers, immenses paquebots touristiques, et même les pétroliers allant décharger leur cargaison à Frontignan. Je passais des heures à la criée et prenais un malin plaisir à caresser les gros thons dont ma mère cuisinait ensuite de magnifiques tranches au thym et à la tomate. Dès que j’étais informé, je me précipitais pour rencontrer notre idole pas encore enterrée sur la plage. L’ami Georges avec ses yeux toujours tranquilles, copain de Boby Lapointe qui lui aussi aimait le poisson

(et surtout la maman du poisson avec du citron).
La chanson me trottant dans la tête, j’ai décidé d’aller m’imprégner des parfums d’enfance en allant m’asseoir au restaurant « Chez Tétel », une envie de moules/frites. Je venais de terminer ce bon déjeuner quand j’aperçus mon amie d’enfance passer à vive allure sur son vélo - Hello ! Hello Capucine ! Mais où vas-tu si vite ? Elle s’arrête, me regarde étonnée – Mais qui êtes-vous ? Mais c’est moi Justin, tu te rappelles ? Nous étions en maternelle ensemble... Comment m’as-tu reconnue ? Ah là, c’est une drôle d’histoire, je ne t’ai jamais perdu de vue... Viens boire un café, je vais te raconter...