Journal de Nuit (11)

Je ne sais pourquoi, je m'étais entiché de photographie depuis 1976. Dans la salle de bain, j'avais monté un labo escamotable où des tirages flous (ma mauvaise vue) m'occupaient des journées entières. Cependant mon matériel assez pointu me permit de réaliser des portfolios pour des peintres amis, notamment pour Jacques B. pendant le tournage d'un film, pour Philippe T. qui se cherchait alors et qui m'expliqua longuement sa vision de la peinture, influencée par les cadrages de Vélasquez. En guise de remerciement, Philippe m'offrit une de ses aquarelles (dans mon bureau) ainsi qu'un grand cahier rouge sur lequel j'écrirai mon journal à partir d'août 1985 et sans interruption jusqu'à aujourd'hui.

Peu de temps avant ma mutation en 1981, je m'étais inscrit à la Société littéraire des PTT, et sur la demande du directeur de publication de leur revue, j'avais envoyé une dizaine de mes textes poétiques. Je téléphonais deux semaines plus tard à cette personne, lui demandant ce qu'elle pensait de mon envoi. Je compris assez vite à son élocution embarrassée qu'elle ne savait que dire : ces textes étaient peut-être trop surréalistes pour quelqu'un qui attendait de la vraie poésie, des rimes, des césures... Quelque chose de plus classique.

Je n'avais pas la prétention de me dire "poète", aussi je n'insistais pas.

A partir de 1982, voici quelles étaient mes lectures les plus importantes : Milan Kundera : La Plaisanterie - La Valse aux Adieux - La Vie est Ailleurs. Julio Cortazar : Les Gagnants - Marelle. Italo Calvino : Le Sentier des nids d'araignée - Le Corbeau vient le dernier - Temps Zéro - Le Vicomte pourfendu. Samuel Beckett : Comédies et Actes divers. Bertolt Brecht : Théâtre complet tome 2. Gabriel Garcia Marquez : L'Automne du Patriarche - Chronique d'une mort annoncée. Richard Brautigan : Le Général sudiste de Big Sur - Un Privé à Babylone.

1983 : Italo Calvino, Samuel Beckett, Harold Pinter, Michel de Ghelderode, Gabriel Garcia Marquez, Charles Bukowsky, Jack Kerouac et Richard Brautigan: Mémoires sauvés du vent - Willard et ses trophées de Bowling - La Vengeance de la Pelouse - Retombées de Sombrero.

1984 : Jean Tardieu, Roger Vitrac, Milan Kundera, "Le nom de la Rose" d'Umberto Eco, "La Femme gauchère" de Peter Handke, Jorge Amado, Jorge Luis Borges, Bryce Echenique, Italo Calvino, Richard Brautigan : La Pêche à la Truite en Amérique - Sucre de Pastèque (relu) - Le Monstre des Hawkline - L'Avortement.

J'ai  beaucoup apprécié Richard Brautigan (1935-1984), je possède presque son œuvre complète, j'ai écrit un article sur cet écrivain qui s'est suicidé d'un coup de fusil à cause d'une déception amoureuse. Je m'étais appuyé sur les cours de Sorbonne de Marc Chénetier que des amis m'avaient procuré, je n'étais pas assez calé pour analyser quoi que ce soit. J'aimais ses romans (je les relis de temps en temps) parmi lesquels "Sucre de Pastèque", "Un Privé à Babylone", "Le Général sudiste de Big Sur"... J'aimais particulièrement dans ce dernier livre l'art de filer la métaphore, j'en étais tout étonné (et ravi !) et m'appliquais à décomposer les phrases pour bien en comprendre le fonctionnement.

C'est à mon frère que je dois la rencontre de ce doux rêveur que d'aucuns jugent primaire, tel son éditeur américain, Lawrence Ferlinghetti, lequel estimait que Brautigan n'avait jamais évolué depuis l'époque où il déclamait ses poésies à Haight-Ashbury. En France, il était édité chez Christian Bourgois auprès de qui je m'étais procuré le dossier de presse - inintéressant en soi, mais qui contenait deux photos de l'auteur dont une en compagnie d'Allen Ginsberg. Je n'ai pas conservé ce matériel.

(à suivre)