Journal de Nuit (3)

Il y avait surtout des livres et des revues d'Art. Ces bouquins occupaient tout l'espace de la bibliothèque, quelques Skira, des monographies, des catalogues, une ou plusieurs Histoire. Nous ne manquions pas de livres d'art.

Mon père les voyait plutôt comme des manuels, il aimait les manipuler, les annoter, souligner les passages importants ou obscurs, les feuilleter, les lire. Certaines illustrations avaient été détachées de leur emplacement afin qu'il puisse les étudier commodément. Il réalisa notamment une copie de "Les Musiciens (1952)" de Nicolas de Staël qu'il appréciait particulièrement. Aussi cette peinture resta dans le domaine familial à l'état de mythe et j'en conserve une carte postale.

Les livres d'art coûtaient cher, la plupart étaient des cadeaux reçus au cours de rencontres entre peintres, d'expositions vues, de vernissages. Mon père y tenait beaucoup, d'ailleurs ses livres préférés ne quittaient pas son atelier, un endroit où nous mettions pied uniquement sur invitation, pour regarder sous sa direction les dernières œuvres dessinées, les dernières peintures qu'il venait de faire. Les aquarelles, les gouaches qui lui semblaient réussies, encadrées, seraient exposées pendant des mois sur les murs de la salle à manger.

Nous étions 3 enfants, deux frères et une sœur, la combinaison aurait été idéale si seulement il n'y avait pas eu autant d'années de différence: j'étais l'aîné, mon frère avait huit ans de moins et ma sœur treize. Les soirées familiales à cette époque sans écran de télévision se passaient aimablement, chacun lisant dans son coin ou faisant lecture à haute voix d'un passage intéressant ou amusant comme la scène du Mamamouchi ou la tirade des nez de Cyrano. Il arrivait que nous jouions ensemble aux cadavres exquis, plus tard au Scrabble... Nous trouvions toujours quelque façon de nous distraire. Et j'avais une guitare.

(à suivre)