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Le Grand Ecart

10 Septembre 2016 , Rédigé par Lydia Publié dans #Vie d'Atelier

Le grand écart ! Encore eut-il fallu que je progresse en gym, que je me muscle, que mon corps m’obéisse et se plie et se déplie à ma volonté ! Parenthèse !

Pourtant, la réflexion qui m’assaillit tout à coup, ce grand écart n’était pas physique, il était géographique et surtout émotionnel, il s’était fait tout seul, contre mon gré ! Je l’aimais, ce pays, cette Algérie mi française mi arabe. Ce jour de Mai, fête des Mères, au son des casseroles frappées avec hargne et désespoir, comme un langage morse : 3 points, pause, 2 traits, on savait que tout était perdu, que notre Eldorado n’avait duré que trois générations.

Il fallait prendre sa valise, un maigre bagage et se préparer à s’exiler, à abandonner ses morts enfouis à jamais dans notre terre, et à quitter quelques vivants qui espéraient encore. Les vieux s’abandonnaient à un chagrin, à une stupeur intolérable ! Les jeunes avec une fougue incontrôlable juraient qu’ils reviendraient un jour. Les mouchoirs pleuraient, les yeux se plissaient, les corps se ratatinaient, les cœurs crevaient comme ballon de baudruche, les mains s’agitaient en signe de désespoir pour encore s’accrocher à quelque chose, à quelqu’un. On ramassait en souvenir une poignée de terre ou de sable, une bouteille d’eau de mer, une fleur de bougainvillier...

Et on faisait ce grand écart entre la terre africaine et le continent européen...

La France, le pays accueillant de force, était là : un froid, un sol encore gelé, un vent !

Le sirocco s’était changé en blizzard, le ciel n’était pas du même bleu profond, le soleil brillait d’un sourire ironique. Les gens se moquaient de notre accent, de nos manières. Les enfants se promenaient seuls dans les bois alentours et nous, nous sautions de frayeur à la moindre pétarade, au moindre aboiement d’un chien, au moindre cri.

Les parents tentaient de se frayer un chemin dans le labyrinthe d’une foule non voilée, sans chéchia, sans burnous !

Une nouvelle vie commençait, il faudrait « faire avec », s’habituer à la misère, au dépouillement, trouver un travail, inscrire les enfants à l’école, au lycée, se sentir libre, oser sortir le soir, la nuit même. Il faudrait apprendre à respirer un air aux fragrances étranges, inconnues, à se nourrir de mets autres que le couscous, la paella, le tagine, à déguster des fruits autres que oranges, figues de Barbarie...

Tout s’écroulait, tout était à reconstruire héroïquement ! Rien ne reviendrait comme avant, du temps de l’insouciance. Ne nous resteraient que des souvenirs, des regrets, de l’amertume, mais aussi l’envie de les partager avec nos enfants, nos petits-enfants. 

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