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SCULPTRICE A ANDUZE (GARD)

20 Mars 2017 , Rédigé par Renée Publié dans #Vie d'Atelier

Certes j’avais observé avec curiosité et plaisir des œuvres sculptées dans les musées, maisons d’artistes, places publiques, monuments célèbres. Jamais je n’avais songé devenir moi-même sculptrice, n’ayant goût ni pour la pierre, ni pour le plâtre, ni pour le bois. Bien sûr, comme tout visiteur, j’avais voulu caresser le dos du penseur de Rodin, tourner autour de la chauve-souris de Germaine Richier, poser, goguenarde, à côté d’une femme de Niki de Saint-Phalle, mais respectueuse des créations artistiques, j’avais contenu tout geste inconvenant.

Aujourd’hui, je n’aurais plus peur : je toucherais ! Pourtant, je protège mon œuvre de tout regard, de toute approche, pour l’instant du moins. En effet, depuis quelques années, j’habite la bambouseraie d’Anduze. On m’a concédé une partie de cette dernière, délaissée pour des raisons de coût d’entretien. Je vis seule dans une maisonnette sur pilotis qui disparaît dans la petite clairière. J’entends la rumeur du monde, sans y participer. Je devine les tensions sans m’en effrayer. Là-bas, on s’inquiète du climat, du tourisme, des échanges commerciaux ; ici, je vis sereinement de petites choses et de mon travail patient. Je tisse entre les hautes tiges de bambous des réseaux, des résilles, des voiles, des nuages avec des fils de coton blanc traités pour ne pas rétrécir.

Juste avant ma retraite, j’avais découvert l’œuvre d’une artiste d’origine asiatique, au Carré Sainte-Anne, à Montpellier. Elle avait tendu entre les murs de l’église, du sol aux vitraux, un réseau complexe de fils noirs au milieu desquels s’élevaient à des niveaux divers des silhouettes blanches, trois ou quatre, me semble-t-il. Quelques semaines après l’exposition, elle avait «défait» l’œuvre éphémère… Et j’avais souffert de la destruction qui me paraissait le geste inverse du sculpteur qui crée pour peser, affirmer, faire exister.

Si je suis sculptrice aujourd’hui, c’est pour faire exister une œuvre légère, évanescente, presque immatérielle, dans un lieu qui pourtant la conservera dans la durée. J’imagine un public amoureux de la nature et de l’art, du vent et des tissages, de la liberté et des constructions. Je rêve d’un nuage matériel, à portée de main, qui glisse entre les hautes tiges frémissantes des bambous et qui émet une musique tantôt à peine audible, tantôt caressante. Je tisse, inlassable ; dans la lumière verte, tremblent mes fils, reliés à ma main, accordés à mon cœur.

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