LE ROLE ACCEPTE

Mais qui donc a suggéré à cet audacieux jeune homme de me proposer ce rôle ?

Le jeune homme est élève-metteur en scène dans la troupe de ce Galfiero- Galfieri, quelque chose comme ça, que je rencontre parfois au théâtre Jacques Cœur, sans jamais lui parler. L’apprenti n’est pas italien, ni français, mais zaïrois. Curieuse, j’ai accepté le rendez-vous pris par mon amie Sylvie auprès de l’élève. Pour voir, ai-je déclaré.

Le rôle ? J’aurais dû m’en douter est un rôle de négresse. Bon, je sais, je suis noire et ne peux le nier. Mais jamais je n’aurais envisagé m’appeler Madame Fiat 500 et diriger un bordel de vingt zaïroises à Pointe Noire, sous le regard d’un gosse des rues que j’aurais recueilli dans ma grande générosité. Il fallait, prétendaient Sylvie et son protégé, une matrone vieillissante, mais encore vive ; il fallait une lectrice d’Alain Mabanctou – je le suis - qui aime le roman « Petit Piment » - j’apprécie en effet -. Cela suffira-t-il pour camper ce personnage haut en couleurs ? Le jeune homme prétend que oui. Sylvie, qui a refusé le rôle sous prétexte qu’elle est blanche de peau, soutient qu’elle n'a pas pensé à la couleur de la mienne pour orienter le jeune homme dans sa recherche. Je ne la crois qu’à moitié. C’est elle la théâtreuse ! Je ne suis que spectatrice, quelquefois exigeante. Certes, il m’arrive après un spectacle, de juger le jeu des acteurs, mais jamais je ne me suis vue actrice. Vous rendez-vous compte ? A soixante quinze ans ! Débuter sur les planches ! Et dans un rôle de maquerelle !

Il faudra que je relise les « Fourberies » ou le « Bourgeois » : la maquerelle en ce temps-là introduisait la demoiselle dans la maison du bourgeois. Aujourd’hui, en Afrique, elle tient commerce comme au siècle dernier en France : chambres, salons, rabatteurs. Mais Madame Fiat 500 est plutôt sympathique, elle a recueilli le jeune Petit Piment, le nourrit, l’héberge et lui apprend la vie ; elle surveille ses filles et s’occupe de leur hygiène, de leur santé. Hélas, il lui arrive malheur. Je ne vous dévoile pas lequel. Je veux juste vous prévenir que j’ai accepté le rôle parce qu’il s’agit d’un rôle épisodique - une scène drôle entre deux scènes dramatiques - m’a assuré le jeune homme auquel je voulais rendre service. N’est-il pas comme moi d’origine africaine ? Surtout, je pensais que Sylvie serait jalouse de mon audace !