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UN NOUVEAU ROLE

14 Mars 2017 , Rédigé par Blouk Publié dans #Vie d'Atelier

Je l'aperçus de loin dans une rue de Pérols; il marchait sur le même trottoir que moi et venait à ma rencontre. Je fis mine d'être fasciné par un étal de primeurs colorés qui semblaient superbes mais il m'avait vu.

Qui donc ? Mais l'illustre Ballandar, voyons ! Cet homme un peu comédien, un peu artiste, un peu éditeur, beaucoup hâbleur que je fuyais comme la peste. Il vint droit sur moi :

- Ah mon cher, justement je vous cherchais, vous êtes l'homme qu'il me faut ! s'écria-t-il en préambule.

- Ah bon, pourquoi ? m'enquis-je les yeux fixés sur un potiron à la fière allure.
- Vous êtes tout à fait le personnage... s'extasia-t-il en cherchant dans mon profil le nez aquilin que je n'avais pas.

- Quel personnage ? demandai-je intrigué.

La réponse jaillit comme une fusée :

- Le meilleur !

- Et quel rôle ?

- Le plus grand ! Vous ne pourrez pas refuser !

Je connaissais le loustic. Je n'insistais pas, d'ailleurs pour lui tirer les vers du nez, c'était impossible. Enthousiaste déjà il me présentait des décors imaginaires, il les dessinait dans l'espace :

- Imaginez....

J'imaginais plutôt que ce grand passionné brassait surtout de l'air, il inventait le décor, plantait des personnages, créait des dialogues inexistants. Il bouillonnait d'enthousiasme et composait des mises en scène délirantes :

- Ce sera le meilleur spectacle de la saison, vous en serez la vedette, ne dites pas non maintenant, réfléchissez d'abord ! D'ailleurs je n'accepterai pas un refus de votre part.
Et il s'en fut, me plantant là en face des courgettes, le chapeau de travers, la canne haute, le crâne fumant, inventant au fur et à mesure quelque mise en scène qui ferait date, il n'en doutait pas.

Je maudissais le soleil qui m'avait fait sortir de mon home douillet pour rencontrer ce personnage de pacotille et je me hâtais de rentrer, empruntant des voies connues de moi seul pour ne plus tomber sur lui.

A l'abri enfin chez moi, mon imagination se mit à galoper : oui, bon, monter sur scène ne me déplairait pas. Mais pour jouer quoi... ? C'est que le théâtre, je n'y connaissais rien ou presque. Bien sûr il fut un temps où je lisais beaucoup de pièces, j'avais même joué quelques rôles en famille, la tirade des nez de Cyrano par exemple :

"Moi monsieur, si j'avais un tel nez,

il faudrait sur le champ que je me l'amputasse !

Mais il doit tremper dans votre tasse,

Pour boire, faites vous fabriquer un hanap !"

J'en connaissais des pans entiers, mais je n'avais pas le nez du rôle, et avec mon bide en avant, je ferai rigoler le public.

Le Marius de Pagnol ne me convenait pas non plus, j'étais trop vieux et pas né fils de bistrotier. Alors quoi.... ? Caligula ? Moi aussi j'aurais aimé prendre la lune dans mes bras, mais finir assassiné, même pour de rire, ça non, alors !

Et plus j'y pensais, moins je me voyais en personnage de Pinter, d'Adamov, je n'étais pas suffisamment calé pour jouer Arrabal, Vladimir, Estragon, ni Ionesco.

Quoique... Faire de la figuration chez Ionesco... Hé ! Hé ! C'était tentant. Jouer une chaise dans "Les Chaises", voilà qui m'aurait plu ! Si seulement on pouvait jouer un objet...

En fait ce n'était pas de monter sur scène qui me ferait peur, ce serait plutôt d'oublier le texte, avoir une panne après la tirade de la comédienne "le petit chat est mort... " et répondre au pif : "Ouah, quel drame ! Que faire ? Prévenir la police, chercher l'assassin... ?"

Imaginez qu'en plein Bourgeois Gentilhomme j'oublie... Déjà que je ne me souvenais pas de la plus petite bribe de texte dans la scène du Mamamouchi, et que je ne savais plus si Scapin et M. Purgon avaient une scène ensemble, ou s'il y en a une entre Clytemnestre et Iphigénie... Il y aurait des chances pour que je mélange tout sauf si je fais auparavant un stage à l'Actor's Studio...

Ce qui entraînerait des frais.
Non décidément je n'étais pas fait pour le théâtre. Et tout seul chez moi, je créais le dialogue que j'aurai avec le metteur en scène si jamais je le rencontrais à nouveau :

"Non, vraiment, je n'y tiens pas, je refuse de jouer quel que rôle que ce soit. Demandez moi plutôt de chanter une chanson, avec un peu d'entraînement et des gargarismes au miel, peut-être arriverai-je à siffler "La Java des bombes atomiques" de Boris Vian. Mais ne me demandez pas plus ! D'ailleurs je refuse de vous répondre. Mon personnage n'a pas été écrit, il n'existe pas ! Retournez à vos papiers, monsieur le dramaturge, monsieur le metteur en scène !"

 

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