FRUITS D'AUTOMNE

Nos châtaigneraies sont en friche dans ce coin de Lozère où s'attardèrent Stevenson et Modestine. Nous ne voyons plus venir nos paysans aux mains calleuses qui dorment maintenant dans la terre de leurs champs ; nos arbres opiniâtres, fidèles à leur vocation, donnent encore des fruits malgré leurs branches de plus en plus dénudées.

À leur pied, je suis là et j'attends, à demi étouffée par un manteau épineux que ma chute a entrouvert, ou ma maturité peut-être.
J'attends le pas du maraudeur qui me délivrera, fera éclater ma bogue et me fera apparaître, lisse, brillante, galbée, charnue.

Prenez-moi. Prenez aussi quelques-unes de mes compagnes qui, plus timides que moi, se cachent sous les feuilles.
Pour vous, nous subirons l'épreuve du feu ; nous nous fendillerons, nous brûlerons entre vos mains qui nous dévêtiront, nous laisseront nues, désirées, savourées... Nous nous fondrons en vous et votre plaisir sera le nôtre...

Car nous préférons votre bouche à la hure brutale de ces bêtes noires et rustres qui nous engloutissent sans ménagement.

Hélas ! Il y a aussi parmi vous des dépravés qui se mettent en tête de nous réduire en purée ! Quel supplice !
Nous sommes écrasées, torturées dans d'horribles ustensiles. On nous cuit sans égard pour notre chair onctueuse cruellement irritée par un sucre sans âme, sans terroir. Heureusement, nous le dissolvons, nous l'absorbons ; si reconnaissance il doit y avoir pour notre sacrifice, qu'elle nous revienne, il est déjà si humiliant de finir en conserve !

Il n'en est pas ainsi pour tous : dans notre famille, certains se disant plus nobles que nous et s'offusquent à l'idée d'être mis en boîte. S'ils l'acceptent, c'est enrobés d'un glaçage, une fine croûte translucide, protectrice et savoureuse.
Objets de soins délicats, ils sont habillés de papier doré, offerts, reçus comme des friandises de luxe.

Il ne nous est pas donné d'avoir ces privilèges mais, sans prétentions, nous goûtons avec vous de délicieuses soirées d'automne dans une intimité complice.