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RIEN DANS LA TËTE, TOUT DANS LES POCHES

19 Juin 2017 , Rédigé par Bernard T. Publié dans #Vie d'Atelier

Eté 1966 : Ray Davies des Kinks chante "Sunny Afternoon", cette chanson pop inoubliable va rythmer mes jours pendant longtemps. Je viens de travailler un mois dans une station service ouverte la nuit. Je me suis fait suffisamment d'argent pour me payer un magnétophone "Geloso" à bobines, le même que celui de mon ami Robert. Mes poches pleines de sous tintinnabulent tandis que je traîne sur les Allées Paul Riquet. Mes amis sont partis en vacances, je m'ennuie sans eux.

Les Allées de Béziers sont un lieu de promenade central qui va du théâtre municipal au Plateau des Poètes, vaste parc qui descend en pente douce vers la gare SNCF. Quatre rangées de platanes déterminent trois allées ombragées, une centrale large, bordée sur deux côtés d'allées plus étroites. Elles existent depuis le XVIIIème siècle. Elles accueillaient au XIXème siècle et presque jusqu'à nos jours (1970 ?) les marchands de vin et les vignerons aux alentours de la chambre de commerce le vendredi. Maintenant, c'est un marché aux fleurs qui a remplacé les viticulteurs. Sur l'allée de gauche, les immeubles haussmanniens abritent cafés, un cinéma "Le Royal", et quelques magasins. A droite, les grands magasins "Moderne", "Nouvelles galeries" et un "Monoprix" occupent la plus grande longueur. Presque au mitan des Allées, une statue géante de Pierre Paul Riquet en bronze contemple les passants, elle fait face à la place de la Citadelle où se trouvait la gare routière.

Les Allées sont la promenade préférée de la jeunesse qui s'y donne rendez-vous les après-midis du samedi et du dimanche; on arpente lentement le centre en bandes, on vient se faire voir, on y zieute les filles, on s'y promène avec sa dernière conquête jusqu'à Paul Riquet, puis on remonte vers le théâtre. Cette habitude s'appelle "faire les Allées".

C'est là que je rencontre un groupe de Beatniks qui jouent de la guitare, je leur glisse une pièce, et nous parlons. Ce sont un hollandais et deux allemands, ils ont l'intention d'aller jusqu'au Maroc acheter du haschich et le revendre à leur retour en Europe. Bonne idée !

Le hollandais barbu et manipulateur, me convainc de les suivre sur les routes puisque je m'embête dans cette ville, je bondis sur l'occasion, rien ne me retient ici, mon père travaille, ma mère a emmené mon frère et ma sœur en vacances en Moselle, je suis libre !

Je ne prépare ni sac ni valise, quand on part comme je le fais, sans espoir de retour, il faut tout jeter derrière soi, brûler ses vaisseaux, c'est ce que j'ai lu chez les grands voyageurs, Cendrars, Kerouac, Hemingway...

Rien dans la tête, tout dans les poches.

Nous partons par la route de Pézenas, la ville de Molière que nous n'atteindrons jamais, du moins je n'irai pas jusque là.

J'imagine que nous nous sommes souvent arrêtés, la chaleur est éprouvante, les véhicules rares encore et peu décidés à prendre en stop des êtres sales et dépenaillés, jeunes et sans doute pris de boisson. Mais nous arrivons à Montagnac où un mien oncle a élu domicile. Nous ne passons pas chez lui car je ne sais pas où il habite, et nous nous arrêtons chez un propriétaire viticole qui justement accueille les voyageurs car les vendanges vont bientôt commencer.

J'ai tout oublié de ces deux jours et demi d'aventure avec un grand A. Je me souviens seulement que nous nous sommes retrouvés au café à Montagnac où j'ai pu encore écouter plusieurs fois "Sunny Afternoon" et où nous avons bu mes derniers sous, mes compagnons profitant de mes largesses généreuses avant de retourner dormir chez le viticulteur.

Le lendemain, il fallut s'apercevoir que je n'avais plus un rond, et le hollandais m'embrigada pour travailler avec eux dans les vignes, afin de payer mon écot pour le voyage.
Heureusement, mon père était parti à ma recherche, je ne sais comment il m'avait retrouvé. Il n'eut pas à m'expliquer longuement que la bohème n'était peut-être pas faite pour moi. Je revins avec lui, content au fond d'être débarrassé de la corvée des vendanges.

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