VOLER EN BONNE COMPAGNIE

On me dit qu’il existe de bons et de mauvais génies, que des fantômes rendent visite à des âmes sensibles, que des signes préviennent de leur destinée ceux qui les interrogent, et patati et patata. Or je suis une irréductible rationaliste qui n’interroge que son esprit et son cœur, qui dort paisiblement une fois refermées les pages du livre en cours de lecture, et à qui aucun génie n’a rendu visite, ni à sa naissance, ni plus tard d’ailleurs.

Mais comme je ne manque ni d’imagination ni de bonne humeur, je peux inventer qu’un petit génie taquin m’a offert la possibilité de savoir voler. J’ai seulement exigé d’être en bonne compagnie, par exemple avec Michèle qui fréquente habituellement les nuages et les astres, avec Nathalie qui appellera Arthur ou Joséphine, les bonnes gens qu’elle connaît, à mon secours si besoin est, avec Marie-France qui suppliera les saints du ciel de m’éviter une chute brutale, avec Bernard 1 qui jouera avec les alizés, les brises et les bises pour accompagner musicalement mon vol, avec Bernard 2 qui a pris, à ras de terre, assez de force mentale pour servir de guide à notre… essaim. Car le génie malicieux n’avait pas précisé que nous serions des oiseaux ; non, ni goéland, ni aigle, ni huppe faciée, ni martinet… mais de laborieuses abeilles voletant de fleur en fleur et rentrant à la ruche chargées de pollen. Si encore j’avais été une reine choyée, mais une vulgaire ouvrière ! Où avais-je entrainé mes amis, déjà attachés à leur heure hebdomadaire d’écriture ? Les avais-je avertis que nous serions menacés de mort rapide malgré les soins des apiculteurs, à cause du glyphosate ou de je ne sais quels produits chimiques épandus sur les champs où nous butinerions joyeusement ?

Je renonce, cher bon génie, je ne volerai pas ! Je renonce, chère Bénédicte, je n’irai pas plus loin ce soir !