RUE DES SPORTS (Lipogramme)

Je pars, je prends le bus pour aller chez ma mère…

Non, pas chez ma mère, elle n’est plus là, des années qu’elle est morte.

Plus exactement près de son ex-chez elle : rue des Sports. Rue des Sports, sur les hauteurs, là où la vue englobe la mer, la côte, quelques cabanons usés, des sentes herbues, des fleurs cachées.

Ma mère repose près de là, avec mon père, mon frère, ma grand’mère. On y hume les senteurs salées venues du large, le vent fou poussant les bateaux à la côte. Des odeurs de varech, de sable et de crustacés. Les crabes desséchés sont poussés sur la berge et dégagent un fumet repoussant.

Tant de morts sont là-haut, près de la rue des Sports. Tant de morts m’attendent dans la brume bleuâtre.

Le bus que j’emprunte est tout neuf, à  l’exact opposé du tramway de mon enfance. Ce tramway doté de perches à l’accroche douteuse. Ce tramway essoufflé de monter la côte démarrant de la zone basse pour gagner les hauteurs ventées.

Je repense au tramway et aux trajets nocturnes pour contempler sous la lune la mer et le vaste paysage somnolent.

Je repense à ma mère, toute attente et tracas pour ses enfants volages, occupés par leurs rêves adolescents.

Ma mère, ma mère, entends-tu comme nous sommes désolés ? D’autres projets nous arrachent à la rue des Sports.

Ma mère, je hante la rue perdue, à la recherche de l’enfance envolée et de l’adolescence enflammée.

Ma mère, attends, mes pas arpentent la rue des enfants turbulents, des parents harassés.

Ma mère, regarde, mes pas stagnent dans la boue des flaques, tout comme avant.

Ma mère, je regrette ce temps où nous fûmes heureux tous ensemble.