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SUR L'ILE DESERTE

25 Avril 2022 , Rédigé par Bernard T. Publié dans #Vie d'Atelier

    Quand j’étais petit, aux alentours de mes sept ou huit ans, j’avais peur de l’eau. Ma mère avait eu un frère noyé alors qu’il savait très bien nager. Mes parents ne m’emmenaient pas à la mer bien qu’elle soit toute proche et mon père ne m’a pas appris à nager comme le faisaient les pères de famille de ce temps là. Mais avec les moniteurs de la SNCF, j’allais à Marseillan en Micheline. Nous descendions en gare, meute de gamins grouillant et piaillant, conduits tel un troupeau gesticulant à travers un no man’s land herbeux qui s’achevait sur une immense plage sans un parasol ni une serviette, sans une silhouette de pêcheur ou de baigneur. Nous étions seuls sur cette île déserte.

Là en bordure de la plage nous attendaient deux wagons de la SNCF sur pilotis. Dans ces wagons, des trésors ! Des masques, des tubas généreusement distribués par les moniteurs jeunes et compétents. Dès leur signal, toute la troupe des petits veinards fonçait vers l’eau cristalline, transparente, dont le bleu intense fascinait plus d’un gamin attiré par un monde perdu.

Toute la troupe ? Non, un seul de ces petits galapiats faisait de la résistance en hurlant, en pleurant, en se refusant à l’eau bienfaisante plus propre que celle de la rivière, non polluée par les méduses des sacs en plastique mangées par les tortues de mer. Un seul de ces petits refusait de se lover dans cette eau claire et ni les belles paroles, ni les promesses de récompense n’y faisaient rien, ce petit imbécile, ce petit benêt, c’était moi qui ne sait pas nager et je le regrette amèrement car vivre au bord de la mer et ne jamais y aller, c’est le supplice de Tantale de notre siècle. Quelle punition pour le grand escogriffe que je suis devenu, moi qui adore la mer au point de verser un pleur à l’écoute de Charles Trenet dans son hymne à la Méditerranée !

L’été le domaine des Dieux nous attendait sur ces plages. L’hiver la grande piscine de Narbonne nous offrait ses deux bassins après le pédiluve de rigueur. J’aurai pu – si je l’avais voulu – apprendre à nager mais la peur de l’eau m’a toujours écarté des rivages, et je restais aux bords des eaux comme le faune endormi dans les bras de la paresse et de la bêtise.

 

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