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Moi, Ecrivain (17/06)

20 Juin 2014 , Rédigé par Gilles Publié dans #Vie d'Atelier

(A mon ami Cendrars que j’aime depuis plus d’un demi-siècle)

 

Mon premier voyage en train je le fis en compagnie de Blaise. Pourtant je ne connais que son prénom. Aucune importance, il était rapidement devenu un ami proche, agréable, et si excitant que je n’aurais jamais dû le quitter. Ah ! Saurer, oui je crois bien qu’il s’appelait Saurer. Mais il était plus connu sous un autre nom qu’il prit plus tard.

Moi qui étais unijambiste du côté gauche, cela m’amusait de fréquenter un manchot du bras droit. Comment avait-il fait pour écrire sa « Main coupée » au fond d’une tranchée boueuse du côté de Verdun. Cette guerre il l’avait haï, et pourtant il la raconte sans haine, juste l’envie d’en finir au plus vite, il colle alors parfaitement à mes idées pacifistes et je le suivrai, comme un petit chien, jusqu’à l’Armistice.

La paix revenue nous nous retrouvons dans le transsibérien en direction de Vladivostok. Il reste des heures à la fenêtre, fumant l’une après l’autre des cigarettes mal roulées avec son unique main gauche. Je le regarde avec envie, et transcris ses pensées sur mon cahier à spirale. Les plaines enneigées, les forêts de bouleaux, les églises aux bulbes colorés, je sens que cela l’inspire tout comme sa petite Jehanne de France. La mienne se nomme Natacha et ne cesse de me demander quand reverrons-nous Montmartre ?

Alors qu’au wagon-restaurant, il discute avec Moravagine, je prends note de tout ce qu’il devra ramener à Saint-Petersbourg, des montres, des bijoux en or, des peaux d’ours et de zibelines. Il y a matière à raconter, à écrire et à rêver.

Après ce long périple, Blaise pense avoir la capacité de se reposer quelques temps à Paris, mais au bout du deuxième jour, sa page reste blanche et la mienne immaculée, alors il faut repartir au plus vite.

D’est en ouest nous traversons un nouveau pays immense dans des conditions vraiment inconfortables. Là-bas, c’est l’autre côté de la terre, c’est le far-west, c’est la fièvre de l’or. Il suffit de s’immerger au milieu des cow-boys et des indiens pour rapporter de savoureuses pages. Naturellement, Blaise rédige plus vite que moi, et en plus il a un but précis retrouver son compatriote suisse le colonel Sutter découvreur de l’or et de la Californie. Moi je me contente de raconter, avec délectation, leurs rencontres au jour le jour.

C’est pendant une dernière traversée de l’Atlantique, dans un steamer débordants de migrants juifs, irlandais et italiens, que je propose à Blaise qu’il consacre son temps au whist et au poker. Je me charge à part entière du récit de la traversée.

Ainsi, contrairement à ce que pensent de nombreux littéraires soi-disant bien informés, ce n’est pas Blaise qui écrivit son chef-d’œuvre « Les Pâques à New-York ». Mais non, mais non, c’est bien moi, son ghost-writer, son nègre, sa troisième main (si on peut dire puisqu’il n’en avait qu’une !)

Seules quelques rares initiés ont pu repérer mon style si proche de celui du maître ; « Le lotissement du ciel », « Dan Yak » et « Rhum » qui croyez-vous qui en soit l’auteur ? Et bien oui c’était moi, bien sûr sous l’œil approbateur et  vigilant de Blaise, qui lui se reposait de toutes les horreurs de la guerre.

A partir de la disparition de Blaise, je continuais d’écrire, mais cela ne dépassait pas le feuilleton journalier de « Paris-Presse ».

Je quittais petit à petit les hautes sphères de la littérature et terminais ma carrière d’écrivain à la chronique nécrologique de « l’Humanité ».

Vraiment sans Blaise, je n’étais plus que stylo sans encre et plume cassée.

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