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MON FRERE A LA FENETRE

28 Mai 2021 , Rédigé par Renée Publié dans #Vie d'Atelier

Mon frère a ouvert la fenêtre et tiré le rideau de tulle léger vers la droite. Je l’observe, un peu inquiet de la mélancolie qu’il manifeste depuis quelques jours. Je lui ai proposé de faire son portrait et, contrairement à la réponse négative que je redoutais, il a saisi ma proposition avec bonne humeur : « Veux-tu que je pose comme tes modèles dans l’atelier ? C’est moi qui choisis le lieu, devant la fenêtre ouverte sur le port. A toi de m’indiquer l’attitude ! »Je lui ai demandé de s’asseoir en libérant le dossier sur sa droite.

 Il adopte cette manière familière de pencher son corps que je lui connais depuis tant d’années. « C’est bien toi ! Reste ainsi, je fais un croquis. Je serai rapide ! » Tandis que je crayonne, un voile de douceur lointaine l’éloigne de moi. Dehors, la silhouette d’une promeneuse, précédée d’une autre que je devine, une enfant peut-être. Les voit-il ? Les connaît-il ? Il vit sur ce quai depuis si longtemps. Je l’ai rejoint à sa demande : « Retrouvons-nous dans la maison, viens avec ta famille ; avec tes fils, on revivra notre enfance ! » Mais depuis que nous sommes réunis, lui, mon épouse et mes trois fils, il se dérobe, ne participe pas à nos activités de vacanciers, prétend ne pas vouloir nous retarder ou nous gêner.

Aujourd’hui, alors que mon épouse conduit nos enfants chez une cousine qui a renoué avec mon frère quand elle a su qu’il s’installait définitivement dans la maison familiale, il se détend un peu et se prête à la séance de pose, puis à la confidence :  « Pour moi la vie pourrait bien rester solitaire » Il ne se tourne pas vers moi, son regard est hermétique. Veut-il me signifier que notre vie familiale l’encombre et qu’il lui préfère sa solitude habituelle ? Ou au contraire dit-il son regret de ne pas songer à une rencontre ? Je remarque alors la double barrière qu’il a mise entre son intérieur et le monde, faite de fleurs et de jolis barreaux de bois peints en vert ; existait-elle quand nous étions adolescents ? Des souvenirs lentement ensablés dans ma mémoire surgissent. Non puisque nous sautions par cette fenêtre et rejoignions quelques amis pour une promenade sur l’eau, à la rame. Par quelle alchimie la mélancolie de mon frère colore-t-elle l’image d’hier ? Si cette femme en robe rose passée était la radieuse jeune sœur de notre voisin il y a vingt ans ?  Non, je n’évoquerai pas ce temps-là, doucement voilé de tulle léger.

 

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